Chacun va au cinéma, aujourd'hui, avec le sentiment de vivre une expérience partagée, mais en même temps intime et singulière. La réception filmique ne fut pourtant pas toujours envisagée ainsi. Durant la période « muette », en France, elle était considérée comme un phénomène ressortissant aux lois de la psychologie collective. Les films ne s'adressaient pas à des individus mais à la foule. La foule était au centre des préoccupations d'une époque que Gustave Le Bon a baptisé d'« ère des foules ». Sa Psychologie des foules est demeurée l'emblème de la psychologie sociale naissante. Pourtant, la vision négative des foules qui s'y dessine ne fut pas la seule manière de concevoir ce phénomène. La foule est aussi apparue comme l'expression d'une volonté de renouveau du communautarisme et du spiritualisme, au sein d'un monde moderne qui s'orientait vers l'individualisme et le matérialisme. C'est par rapport à ces débats que des critiques, cinéastes et théoriciens (Canudo, Gance, Delluc, Epstein, L'Herbier, Moussinac, Faure) envisagèrent d'octroyer au cinéma un rôle capital. Ils voulurent que ce spectacle populaire devienne l'art des foules. Ce n'était qu'ainsi qu'il pouvait offrir aux foules des moments de communion et d'élévation spirituelle, et qu'en même temps, cette |