quelque sorte la natura, pour peu que notre monde ait pris forme et consistance au sein d'un gigantesque chaos atomique, sans le concours d'un démiurge ordonnateur et législateur. « Cause fictive de ce qui arrive sans raison apparente ou explicable », aux dires des lexicographes, le hasard ne se laisse désigner qu'en creux. Il se définit par rapport à ce qu'il excède : la finalité rationnelle ou naturelle, d'un côté, le déterminisme des lois de la physique, de l'autre. Mot blanc, signifiant vide, hasard nomme cette part de l'événement qui échappe à la transcendance d'une volonté providentielle comme à l'immanence d'une nécessité matérielle. Il y a bien longtemps que les sciences de la nature – sous les coups de boutoir de l'évolution des espèces, la turbulence des fluides ou la physique quantique – ont abandonné une conception de la causalité oscillant entre la volonté rationnelle (ou inconsciente) et un strict déterminisme mécanique et légal. Voilà pourquoi, à son tour, la critique littéraire et artistique doit se mettre à penser la création esthétique en dehors des catégories de l'intentionnalité spirituelle et de l'inertie matérielle. La matière n'est pas plus inerte (in-ars) que l'auteur n'est tout puissant. La volonté et la nécessité ne recouvrent pas l'intégralité du champ de la création : la part laissée dans l'ombre et que l'on désigne au moyen du vocable hasard en appelle à de plus amples investigations. |