Qui peut nier l’influence qu’exerça cet esprit supérieur sur sa génération, tant sur son auditoire de l’École pratique des hautes études, lorsque, avant 1940, il proposa une lecture commentée de la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel, que sur les directeurs des plus hautes instances du monde économique, après la guerre, auprès desquels il occupa une fonction de conseiller ? Cependant, malgré cette réputation flatteuse et imposante de Kojève, malgré la mise à disposition du public cultivé de ses textes et ouvrages majeurs, malgré une série de travaux importants consacrés à cette figure et à cette œuvre par des intellectuels de premier plan, malgré, enfin, la richesse d’informations apportée par une première biographie globale due à Dominique Auffret, Kojève reste méconnu. Certes, le personnage était énigmatique et cultivait le secret. Il avait ses raisons, dont la moindre n’était pas qu’il était né russe et demeura profondément attaché au peuple russe. Mais au-delà de ces considérations, quel dialogue pouvait effectivement s’instaurer entre celui qui fut considéré par certains (dont Raymond Aron) comme l’homme le plus intelligent de sa génération et souffrit même, en quelque sorte, d’un excès d’intelligence, et ses interlocuteurs, si éminents fussent-ils ? Le philosophe américain Stanley Rosen, qui s’entretint toutes les semaines |